Pierre Gattaz s’exprimait récemment sur RTL ; cette prise de parole de fin de mandat lui a donné l’occasion de réaffirmer que trois éléments sont nécessaires à la croissance de l’entreprise : la compétitivité (qu’il faut continuer à favoriser par des mesures telles que le CICE et le crédit impôt recherche ou surtout par une baisse des charges), la confiance (dans les entrepreneurs) et les compétences (ce dont on manque, actuellement comme le montre les 200 000 offres d’emploi non pourvues faute de candidats adéquats) …
La mise en évidence de ces 3 leviers est intéressante… et les présenter dans une autre chronologie va mettre en évidence les liens nécessaires à une dynamique efficace.
La première condition à créer, à la source de cette dynamique de l’offre, souhaitée par le patron des patrons et notre gouvernement, est la confiance.
Elle représente la prime condition d’émergence des comportements qualitatifs nécessaires à la croissance : envie du futur, ambition à moyen et long terne, capacité à la remise en cause, souplesse, ouverture, esprit d’innovation pour imaginer l’offre, puis engagement, vitesse, concentration, collaboration, solidarité pour la réalisation immédiate de nouvelles chaînes de valeur…
La deuxième condition est le développement de compétences adaptées aux nouvelles approches. En effet, chaque apprentissage a besoin, pour être rapide et pérenne, de s’appuyer sur un engagement « en même temps » intense et serein… ce qui demande justement de posséder une confiance forte et stable.
La troisième condition est l’offre compétitive, dont l’élaboration résulte de l’interaction entre confiance et compétences, orientées vers l’avenir.
Parce qu’elle constitue la condition fondatrice de ce triptyque, réfléchissons plus avant sur la confiance.
Reconnue pour son rôle dans l’économie, confiance est très étudiée depuis plus d’un siècle. Les sciences sociales la définissent comme issue de 3 sources : soit d’un mélange de réflexion rationnelle (théorie du calcul des coûts de transactions), soit de relations interpersonnelles et coopératives (théorie de la nouvelle sociologie économique), soit d’interactions avec les institutions (qui soutiennent les acteurs à travers les modes d’organisation collective qu’elles installent).
Cependant, malgré cette connaissance partagée, nous allons voir que ces trois composantes de la confiance se montrent imparfaitement intégrées dans la création des dynamiques contemporaines, tant au niveau de l’entreprise que de l’état.
En ce qui concerne le « Macronisme », ses fondamentaux philosophiques s’appuient sur les travaux de Paul Ricœur (l’intérêt du dialogue et de la médiation entre approches opposées), sur ceux de John Rawls (prônant une justice sociale fondée sur les libertés de base et la réduction des inégalités économique) et d’Armatva Sen (soulignant l’importance d’apporter la liberté d’action à tout un chacun).
Ces penseurs l’amènent à vouloir mettre en place un « libéralisme égalitaire », c’est à dire à une philosophie de l’égalité des chances (« la France doit être une chance pour tous »), instaurée par une nouvelle organisation de la société.
Emmanuel Macron pense qu’une autre disposition sociétale va suffire pour créer les conditions de la confiance et de l’engagement : pour lui des institutions créant des conditions équitables de départ et d’accès aux possibilités du marché suffisent à elles seules pour créer la dynamique de chacun.
Par cette approche il s’appuie clairement sur une des 3 sources de la confiance citées plus haut, celle issue de l’échange avec les structures. Il semble ne pas percevoir qu’en premier lieu, la confiance dépend des relations que les hommes développement entre eux, et tout particulièrement pour les individus malmenés.
Ce qui veut dire que, pour un patron souhaitant dynamiser son entreprise, ou un gouvernant désirant la « transformation » de son pays, l’atteinte de ces objectifs dépend directement de la manière dont les êtres humains sont « managés »…c’est à dire de la manière on les considère, leur donne espoir, dialogue avec eux, oriente et soutient leur implication.
Ce lien entre engagement, expression des capacités humaines et management constitue l’indispensable levier central de tout projet ambitieux d’évolution collective… et pourtant il en constitue le grand oublié.
Pierre Gattaz en parle un peu d’une certaine manière, mais en adressant ce principe uniquement au gouvernement, qui devrait d’après lui installer un travail plus participatif avec les administrations.
Notre ministre de l’Education Nationale Jean Michel Blanquer, Notre ministre de l’Éducation Nationale Jean Michel Blanquer, accompagné des neuropsychiatres Boris Cyrulnik et Stanislas Dehaene, côtoie le sujet lorsqu’il plaide pour une nouvelle maternelle et une école de la confiance, grâce à une transmission du savoir sereine, non-anxiogène et sécurisante, appuyée sur une qualité de relation entre les intervenants et les enfants … Mais cette conception reste dédiée aux très jeunes enfants, et lorsque le président s’adresse aux français « adultes », il passe à côté de l’aspect relationnel de son sujet. Malgré ses bonnes intentions, on comprend qu’il paraisse alors insensible à la difficulté humaine (le « président des riches »).
Ce décalage d’approche va encore plus loin à l’intérieur de l’exécutif, et l’actuel gouvernement en arrive à se poser en anti modèle managérial.
Après la réduction massive des effectifs des cabinets ministériels, les articles se sont multipliés décrivant la vie interne du gouvernement : le rythme de travail effréné, la pression constante, l’exigence de disponibilité quasi permanente, l’ambiance malsaine qui règne (dixit les intéressés).
La violence de certains entretiens fondés sur un management de menace et peur, ont généré de nombreux départs de Bercy et dans l’entourage des ministres (renoncement de 4 conseillers, ré affectation de 14 secrétaires du cabinet du 1er ministre) avec cohérence et sincérité par rapport à ses croyances.
Pour obtenir plus de célérité, de densité et résultat, il faut mettre plus de pression : « plus ils vont travailler, plus cela va produire et plus vite on va réussir ». … et tant pis pour les « faibles ».
En fait, rien ne bouge dans la compréhension de nos leaders depuis les conceptions élaborées au début du 20ième siècle. Nous retrouvons ainsi à la tête de l’Etat un management qui fait souffrir et partir…devenu un parfait miroir de l’entreprise néo libérale classique dans laquelle le burn-out se développe rapidement et s’ancre désormais durablement (490 000 cas d’affection psychique reconnus par le réseau de veille des médecins du travail en 2018).
Plutôt que d’attendre une inaccessible reconnaissance officielle de ce fait, il apparaît plus intéressant de rappeler que le management réellement adapté à l’instauration d’un dynamisme entrepreneurial ou sociétal est un management générateur d’un vrai plaisir à travailler ensemble, d’un désir de réussir partagé et d’une envie d’apprendre et d’évoluer.
Ce style de management sait relier les besoins humains (de relation, de sens, de cohérence et de croissance) au futur réussi d’une entreprise ou d’un pays et à « l’émancipation » de chaque être humain.
Il se montre le plus capable pour faire émerger les comportements de vitesse, d’ouverture, de mouvement, de souplesse, de cohésion, nécessaires à l’élaboration d’une aventure collective novatrice.
Pour le gouvernement, une première porte d’entrée sur ce sujet pourrait être de prendre conscience que, pour rendre crédible le message du « libérer-protéger », ainsi que la venue d’une société de la bienveillance et de l’épanouissement humain… il est inconvenant de faire souffrir les artisans de ce futur univers.
Il serait en fait plus cohérent et crédibilisant de s’appuyer sur un engagement enthousiaste et motivé des équipes pour élaborer un monde futur annoncé comme positif.
Pour l’entreprise, il serait utile de prendre conscience que ses modes de management dominants s’appuient sur une représentation très datée de l’être humain aux effets aggravés par l’arrivée du néo-libéralisme.
De manière angélique, on pourrait certes rêver d’une civilisation qui enverrait Milton Friedman aux oubliettes, remettrait par soucis éthique l’humain au cœur des préoccupations et reléguerait le techno-capitalisme au rang de moyens au service du développement humain… mais pour l’instant, soyons plus modestes.
Aidons l’entreprise à identifier que sa recherche d’un positionnement gagnant et durable passe par un management générateur d’engagement individuel et collectif sincères.
Dialoguons avec elle pour qu’elle ne compte plus sur la réaction craintive des hommes face à une pression agressive pour obtenir ses résultats.
Favorisons sa prise de conscience du fait qu’une approche appuyée sur l’engagement sincère des hommes, si elle apparaît au premier abord paradoxale et inquiétante, se montre en réalité rapidement la plus efficace chaque fois qu’elle est mise en jeu
Quant à la manière précise de procéder pour mettre en place une telle pratique managériale et bénéficier de ses effets positifs, disons pour l’instant que cela s’apprend, à condition d’être accompagné, légèrement mais sur la durée, tant sur le champ de ses représentations que sur celui de ses compétences comportementales.
Henri DUMONT