Lorsqu’on demande, hors du cadre de l’entreprise à un jeune représentant de la génération Y de confier sa perception de l’entretien annuel à venir, souvent il sourit : « Ah oui l’entretien annuel arrive, mon manager m’a prévenu : prépare toi, c’est important… c’est vrai, ma vie va sans doute se décider là »… derrière son ton moqueur s’exprime sa relation au monde, emplie de recul envers l’entreprise, qui l’amène à se demander à quoi ce moment rime, dans quel jeu de rôle on cherche à l’embarquer, vers quel type de relation on cherche à l’orienter.
Cet entretien et souvent la manière dont l’entreprise et son manager le lui présentent, l’animent, voire l’utilisent, lui semble bien loin de ses attentes, voire lui confirme certains de ses apriori négatifs.
Historique entreprise et besoins de la génération Y
Pour prendre le parti de l’entreprise il faut avouer que la situation n’est pas simple pour elle, car, lorsqu’on parle d’entretien individuel, on rencontre souvent son « cœur de tradition » managériale : cet outil a fréquemment été le premier rituel de management qu’elle demandait à ses managers de pratiquer : elle fournissait des objectifs, des grilles repères, et formait à la pratique de trois grands temps formels (bilan de l’année précédente, synthèse et appréciation, relance sur l’année suivante)… en soulignant l’importance de donner la parole d’abord au managé, dans un management de qualité basé sur l’écoute première de l’autre.
La difficulté du manager était alors de poser un management d’écoute dans un système managérial ne formant qu’à un entretien de synthèse… sans apporter aux managers les compétences nécessaires pour bâtir les résultats attendus en proposant une relation de même nature pendant l’année.
Les générations précédentes acceptaient plus ou moins ce type d’incohérence et de faux semblants, en maintenant un niveau d’implication correct (bien que loin d’être optimal), grâce à d’autres leviers : promesse de promotions, de rémunérations, de protection sur l’avenir…
La génération Y ne fonctionne plus sur ces leviers, elle demande beaucoup plus, beaucoup mieux.
Informé par les déboires des générations précédentes dans leurs relations au système entrepreneurial comme aux autres catégories collectives, elle arrive avec des attentes différentes, aujourd’hui bien cartographiées :
un désir de réalisation personnelle qui parle d’équilibre de vie, d’épanouissement et de passion, un besoin de sens et de valeurs, qui va d’une attente écologique à la compréhension de la pertinence des missions demandées et des exigences transmises, une envie de relations directes et d’échanges émotionnels, qui évoque tant l’expression de la reconnaissance individuelle que l’existence de temps festifs, une volonté de responsabilité qui demande l’existence d’espaces d’expression et d’autonomie.
La génération Y possède ainsi un disque dur aux caractéristiques iconoclastes, construit sur de nouveaux principes. Le collaborateur d’aujourd’hui se différencie du jeune d’hier, taillable et corvéable à merci, qui acceptait de compenser par son labeur les dysfonctionnements de l’entreprise ou de son manager : il n’y a plus de bons soldats à disposition pour traiter les demandes urgentes posées à 18 heures le vendredi soir, plus d’exigences fortes transmissibles sans demandes d’explications claires sur leur légitimité… et plus d’entretiens annuels formels, descendant derrière les apparences, sans cohérence et pertinence de son déroulement.
Le deal a changé, et cette fois, à l’entreprise et à ses managers de s’adapter.
Le type d’entretien à jouer
L’entreprise a certes le besoin d’un peu de formalisme et donc de support pour garder trace de ses échanges, gérer la diversité et les potentialités de sa ressource humaine, suivre la réalité et la variété des évolutions de ses collaborateurs, et prendre des décisions adaptées et compréhensibles par chacun.
Tout en permettant de lui fournir les repères nécessaires à ses décisions, ce support a juste besoin d’être simple, d’éviter de chercher à tout analyser et codifier, pour laisser une place à la capacité d’’attention du manager sur ce qui s’est réellement passé pendant l’année, et à l’intégration des facteurs subjectifs et émotionnels qui ont influencé la réalisation des missions.
Et pour que l’entretien annuel devienne un temps de synthèse cohérent… et simple à animer, l’entreprise, a aussi la nécessité de construire une organisation laissant une place à la relation managériale quotidienne, car le principe de cohérence demande que tout se joue avant cet entretien, dans le mode d’animation proposé par le manager au fil de l’année.
Une fois ces préalables en place, au manager de prendre sa part de la connexion avec la génération Y.
Pour cela, il lui faut apprendre à donner de la signification aux missions individuelles par la logique de son organisation locale, à favoriser l’évolution de ses collaborateurs par un accompagnement adapté, à organiser une responsabilisation bien dosée par ses pratiques de délégation et d’ouverture, à proposer une relation proche et attentive….
Le manager pourra alors échanger avec aisance pendant l’entretien annuel… A condition qu’il le conduise en s’appuyant sur les mêmes principes de management que ceux exprimés pendant l’année (c’est là le vrai sujet d’une formation actuelle à l’entretien annuel).
Tout en restant dans le cadre des exigences de l’entreprise, il pourra alors aider chacun à avoir conscience de son profil, de sa dynamique actuelle et de ses potentialités, et instaurer un dialogue perçu par chaque collaborateur comme un accélérateur de sa progression.
Enfin, il sera légitime pour partager sur l’interaction entre les besoins de l’entreprise et ceux du collaborateur, en le responsabilisant simultanément sur sa contribution immédiate, son avenir moyen terme et sur celui de l’entreprise.
Ainsi animé, L’entretien annuel fera enfin sens.
Les gains de ce type d’entretiens
Il apportera bénéfice à l’individu comme à la collectivité, car l’équilibre de cette approche amènera le collaborateur Y à passer de l’individualisme à l’individuation, c’est à dire à la perception d’un mode de développement personnel dans lequel il voit comment combiner respect de son identité et implication dans les attendus collectifs.
La génération Y pourra alors apporter à l’entreprise : engagement sans réserve, transparence et traitement immédiat des vrais sujets, pragmatisme et efficacité, vitesse d’exécution, apport de nouvelles solutions… toutes qualités bien utiles pour bâtir ses résultats dans un environnement évolutif et concurrentiel
Elle illustre parfaitement la formule classique « contrainte égale opportunité », en apportant à l’entreprise une excellente raison de revisiter ses pratiques managériales et de les rendre mobilisatrices pour favoriser sa réussite.
Alors, prêt ?
Henri Dumont